Romain Crélier, Sculpture

L'œuvre de Romain Crelier s'impose par sa rigoureuse simplicité. Dessins, gravures et volumes, dominés par les noirs et les gris, affirment leur présence directe. Ses pièces tridimensionnelles, fondées sur le principe de la construction, s'affilient au minimalisme. Elles font référence à l'architecture, et plus récemment au mobilier, remettant en question l'idée traditionnelle de sculpture.

Ainsi Sculpture est un fauteuil en béton, monté sur socle, sur lequel le visiteur peut s'asseoir. Mais c'est aussi une sculpture, comme son titre l'indique, un volume en ronde-bosse qui se dresse dans l'espace, composé et construit par un artiste. Romain Crelier associe un objet banal, identifiable tout de suite - une sorte d'archétype de meuble - avec l'idée d'œuvre d'art, originale et éternelle. Jusqu'à quel degré est-ce une pièce de mobilier, jusqu'à quel degré est-ce une sculpture? Le statut ambigu de cette œuvre insinue le doute dans l'esprit du spectateur. A la manière d'un René Zäch, ou plus loin d'un Siah Armajani, Romain Crelier associe objet familier et œuvre d'art, interrogeant la relation que nous entretenons avec eux.

Dans Sculpture, le socle, utilisé dans la sculpture traditionnelle, semble dans un premier temps faire pencher la balance du côté d'une valeur artistique. Mais en faisant étroitement corps avec le "fauteuil", il ne l'isole pas de l'espace réel, au contraire du socle traditionnel. A l'opposé, ce piédestal lie Sculpture à son environnement architectural, puisqu'il l'élève à la hauteur du sol de la grande halle d'exposition. Installée en extérieur, l'œuvre entretient ainsi un lien direct avec l'espace muséal intérieur.

Ce lien était d'ailleurs encore plus évident lors de l'exposition consacrée à Romain Crelier au Musée jurassien des Arts, en 2005. En plaçant à l'intérieur du Musée un autre "fauteuil" et une "bibliothèque", l'artiste y évoquait un intérieur domestique, sans dresser de murs. Le simple dialogue entre ses Sculptures suggérait des parois invisibles, qui conjuguaient espace intérieur et extérieur en un nouveau lieu intime. Romain Crelier transformait ainsi architecturalement les espaces d'exposition.

La valeur architecturale de Sculpture tient aussi dans le choix du matériau, un béton brut de décoffrage, habituellement utilisé dans la construction. Ce matériau caractérise d'ailleurs les murs extérieurs de la nouvelle aile du Musée jurassien des Arts, et lie encore davantage l'œuvre de Crelier au lieu. Mais le béton montre également l'attirance de l'artiste pour des matières communes, jugées peu esthétiques, au même titre que l'huile de vidange qui apparaît dans d'autres œuvres. Enfin, il conserve les traces de sa fabrication, l'empreinte des planches du coffrage.

Ces traces de fabrication ne sont pas les seules. Loin d'être d'un bloc, Sculpture est composée de plusieurs éléments, dont l'assemblage par un système de vis est clairement visible. Romain Crelier travaille souvent à partir de modules qu'il peut multiplier et assembler comme des briques de Lego dans un jeu de construction. Le principe de construction, de montage, rappelle bien sûr l'architecture. Mais il exprime aussi pour l'artiste l'idée d'une proposition artistique, qui pourrait être formulée autrement, plutôt qu'une œuvre définitive. Dans certaines pièces - des chaises superposées dans différentes configurations - Romain Crelier suggère d'ailleurs plus directement une participation du spectateur. Celui-ci peut en effet imaginer d'autres constructions avec les mêmes éléments.

On peut s'asseoir sur Sculpture, et oublier le dogme muséal du "ne pas toucher les œuvres". Sculpture nous rappelle un meuble familier et nous pouvons imaginer démonter et remonter dans un autre ordre ses éléments. Romain Crelier nous propose décidément une nouvelle proximité avec une œuvre d'art.

Valentine Reymond

Romain Crélier

*1962

Sculpture

2002-2005

béton et fer, 76 x 55 x 59 cm

Provenance
Achat à l'artiste lors de son exposition au Musée, 2005

© Romain Crélier