Charles Robert, Sommet jurassien
Installé à Moutier avec sa famille depuis l'âge de six ans, Charles Robert a peint de nombreuses vues de la ville et de ses environs. Sommet jurassien représente la montagne du Graitery qui se dresse abruptement au sud de Moutier, un des sujets favoris du peintre depuis 1935. Mais le peintre ne s'attache pas ici à ce caractère pittoresque. Il choisit l'étagement plus doux des prés et des forêts au sommet du Graitery. Des plans simplifiés se succèdent dans un format panoramique qui renforce l'assise horizontale de la composition. Chacun des plans, tertre, prés pentus, crête sylvestre, est clairement délimité par un contour noir qui prend différentes épaisseurs. Une toile compacte, cloisonnée, dont les différents plans s'alignent dans un rythme monumental. Une toile que vient encore densifier la pâte picturale épaisse et une palette aux teintes sourdes, dominée par les bruns, les verts et les ocres, sans effets de clair-obscur.
L'horizontalité et la densité suggèrent une stabilité qui semble traduire le caractère atemporel des hauts plateaux jurassiens. La facture très présente, dominée par des touches verticales, maçonne et équilibre la composition. Mais quelques éléments perturbent l'ordre établi. Une barrière blanche en zigzag dynamise les prés, tandis que des poteaux téléphoniques et un sapin dressés scandent verticalement la composition. Seuls liens de communication avec le monde extérieur, comme le souligne Max Kämpf*, et seules traces du monde moderne, ces poteaux creusent l'espace, allègent la composition dans un rythme syncopé.
Lorsqu'il peint ce tableau à l'âge de 26 ans, Charles Robert suit des cours à la Kunstgewerbeschule de Bâle - après des débuts d'autodidacte influencés par le style coloré des postimpressionnistes. Il y apprend des principes de composition et de coloris qui appartiennent à l'école bâloise de cette époque, instaurée par Jean-Jacques Lüscher, Karl Dick, Numa Donzé et Paul Basilius Barth. Surnommés les "Dunkeltönige" ("de teintes sombres"), ces peintres se sont inspirés de la peinture novatrice française de la fin du XIXe et du début du XXe s., tournant le dos à la mythologie d'Arnold Böcklin et au symbolisme de Ferdinand Hodler. Sujets simples, comme le paysage ou le portrait, traitement dans une pâte épaisse aux teintes sourdes, dominées par les gris, et simplicité formelle sont des traits de l'école bâloise que Charles Robert adopte à cette époque.
Mais il les partage aussi avec ses amis proches, Max Kämpf et Serge Voisard. Max Kämpf, rencontré à la Kunstgewerbeschule de Bâle, avait déjà adopté la palette des Dunkeltönige auparavant. Tandis que, sur le plan formel, Charles Robert est plus proche de son ami Serge Voisard. A l'arrivée à Moutier de ce dernier en 1935, comme professeur de dessin à l'école secondaire, un lien étroit se tisse entre les deux peintres. Sommet jurassien, comme les paysages franc-montagnards de Serge Voisard, dénote une clarté formelle et une densité de la pâte picturale sans doute issues de leur admiration commune pour l'artiste jurassien Albert Schnyder. Plus loin, le puissant contour noir présent dans le tableau de Charles Robert évoque la peinture cloisonnée de Charles Rouault.
Charles Robert peindra plusieurs tableaux de cette veine, mais rarement aussi solidement construits et monumentaux que Sommet jurassien. Mobilisé dès 1939, il réalise de nombreuses gouaches. Puis, absorbé par son travail dans l'imprimerie familiale, il devra réduire son activité picturale tout en retournant à une palette plus vive, renouant avec le coloris de ses œuvres de jeunesse.
Valentine Reymond
* Ch. Robert, dessins et peintures, textes de Jean-François Comment, Max Kämpf et Max Robert, Moutier, Imprimerie Robert, 1956, non paginé.
Charles Robert
1912-1948
Sommet jurassien
ou "Paysage du Graitery", 1938
Huile sur toile, 51 x 105 cm
Provenance
Don de Mme Zéline Kohler, Delémont